Carnets de l'Economie

Affaire Festina : les coureurs dopés à l’insu de leur plein gré ?




Johan Valroff
25/01/2019

1998, année noire pour le cyclisme international. L’équipe cycliste Festina, adulée par des millions de fans à travers le monde, grande favorite du Tour de France 1998 et portée par le chouchou des Français Richard Virenque, se retrouve plongée au cœur d’un scandale de dopage organisé au sein de l’équipe. Un banal contrôle douanier à la frontière franco-belge a débouché sur ce qui reste encore aujourd’hui un scandale majeur dans l’histoire du cyclisme et du sport international. Un scandale tel que Festina, alors considérée comme la meilleure équipe du peloton grâce à des stars telles que Virenque ou Zülle, ne s’en relèvera pas. Ces derniers et le directeur sportif de la formation quitteront le navire dès la saison terminée. En 2001, soit trois ans après l’affaire, l’équipe Festina disparaît du peloton professionnel. L’histoire d’une affaire mal gérée qui s’est transformée en feuilleton médiatique, et qui a contribué à coller au cyclisme l’étiquette d’un sport gangréné par le dopage et la corruption, d’un sport où « de toute façon ils sont tous dopés ».


Affaire Festina : les coureurs dopés à l’insu de leur plein gré ?
Tout commence le 8 juillet 1998, trois jours avant le départ de la Grande Boucle, avec l’arrestation de Willy Voet, un masseur de l’équipe, à la frontière franco-belge, la voiture chargée de produits dopants destinés à l’équipe Festina. Celui-ci est placé en garde à vue et avoue un dopage médicalisé et organisé au sein de l’équipe Festina. À la suite de ces révélations, le Tour de France lance une cellule de crise, avec, entre autres, le directeur du Tour de France Jean-Marie Leblanc, l’ancien champion olympique de ski reconverti en dirigeant d’Amaury Sport Organisation (la société organisatrice du Tour) Jean-Claude Killy et le directeur sportif du Team Festina Bruno Roussel. L’objectif est de minimiser l’événement, Killy pensant d’ailleurs que le dopage n’était pas « un problème en soi ». L’avocat de Roussel prend la même posture, expliquant que si l’équipe avait vraiment voulu importer une grande quantité de produits dopants, ils auraient utilisé une méthode plus discrète que l’utilisation d’une voiture officielle de l’équipe sur une départementale reconnue comme un corridor du trafic de drogue entre le Benelux et la France.
Cependant, la machine s’emballe vite. La justice s’est saisie de l’affaire, les arrestations et les aveux tombent. Quelques jours plus tard, Bruno Roussel et le médecin de l’équipe Éric Rijckaert sont arrêtés, et avouent tout comme Voet aux enquêteurs le recours généralisé au dopage au sein de l’équipe. Le siège de l’équipe Festina à Lyon est perquisitionné, des produits ayant pour but de masquer les effets du dopage dans les analyses sont découverts. Cependant, personne ne veut reconnaître qu’il a joué un rôle actif dans le système de dopage mis en place, chacun se renvoyant la balle et trouvant son bouc émissaire. Laurent Brochard, champion du monde sur route 1997 déclare : « Je me considère comme victime au premier degré du dopage mis en place par nos dirigeants ». Richard Virenque, favori du Tour 1998, niera jusqu’en 2000 ces accusations, malgré des analyses ultérieures démontrant la prise de produits dopants, notamment d’érythropoïétine, mieux connue sous son diminutif EPO. L’avocat de Bruno Roussel, malgré les aveux de celui-ci disant qu’il est l’instigateur et le gérant de la distribution de produits dopants dans l’équipe, préfère minimiser le rôle de son client dans l’affaire, présentant ce réseau comme un moyen de prévenir les risques du dopage… en le contrôlant : « l’objectif était d’optimiser les performances sous strict contrôle médical, afin d’éviter l’approvisionnement personnel sauvage des coureurs dans des conditions susceptibles de porter gravement atteinte à leur santé, comme cela a pu être le cas par le passé ».
À la suite de toutes ces révélations, Jean-Marie Leblanc décide d’exclure l’équipe Festina du Tour de France le 17 juillet, pensant mettre fin à la crise et préserver l’image du Tour et du cyclisme pourtant déjà entachée par cette affaire et les précédents scandales de dopage. Mais ce qui aurait dû rester une crise interne à Festina s’est aggravée en une crise généralisée dans le peloton qui marquera au fer rouge cette 85e édition du Tour. Les dénonciations sont nombreuses, et plusieurs équipes sont interrogées et perquisitionnées par la police. Excédées par ces accusations, de nombreuses équipes se retirent et le peloton est décimé : les Espagnoles Once, Banesto, Vitalicio et Kelme, l’Italienne Riso Scotti et la Néerlandaise TVM abandonneront le Tour pour protester. Les formations Casino et la Française des Jeux seront aussi affectées par les enquêtes à la suite de délations, mais resteront dans le peloton. L’épilogue judiciaire de cette affaire aura lieu en 2000 avec la condamnation à des peines de prison avec sursis de Roussel et Voet, et l’acquittement de Virenque.
La gestion de la crise par les différentes parties prenantes fut très difficile. C’est la première crise cycliste d’une telle ampleur, et beaucoup ont préféré démentir ou se défausser de leurs responsabilités, quitte à mentir pour ne pas salir leur réputation. Mais la vérité, pour beaucoup d’entre eux, a fini par les rattraper et les conséquences furent plus dures. Le cyclisme est moqué à travers Virenque. Celui-ci sera d’ailleurs régulièrement moqué dans les sketches des Guignols de l’Info sur Canal+, avec sa fameuse phrase « à l’insu de mon plein gré ». Le directeur du Tour Jean-Marie Leblanc a été placé en garde à vue sans finalement être mis en examen, à l’inverse des président et vice-président de la Fédération Française de cyclisme Roger Legeay et Daniel Baal, qui seront mis en examen pour « complicité des délits de facilitation et d’incitation à l’usage et administration à autrui de substances ou de produits dopants », avant de bénéficier d’un non-lieu.
Pour autant, tout ne fut pas noir pour le cyclisme après cette affaire. Celle-ci a permis de mettre à jour les nombreux systèmes de dopage mis en place par les équipes sportives, et ainsi de pouvoir lutter plus efficacement contre celui-ci. Un rebond positif a été entrepris. Le Tour de France est devenu physiquement moins exigeant, avec deux jours de repos obligatoires, un tracé de 3 500 kilomètres maximum avec une moyenne de 180 kilomètres par étape. L’avancée la plus importante reste cependant la création de l’Agence Mondiale Antidopage en 1999 suite à cette affaire, un organisme de recherche ayant pour but d’harmoniser à terme les règles antidopage à l’échelle mondiale dans toutes les disciplines sportives, en rédigeant le Code mondial antidopage entré en vigueur en 2004.
Ainsi, cette affaire a marqué profondément le Tour de France et le monde cycliste en général. Mais, malgré toutes ces mesures, ce ne fut pas pour autant la fin du dopage dans le cyclisme, bien au contraire. Par exemple, un certain Lance Armstrong gagnera les sept Tours de France suivants…